Le Pr Bernard Iung, Hôpital Bichat (AP-HP), Service de cardiologie et Université Paris-Cité, nous adresse, à l’occasion de la création, pour le World Thrombosis Day (13 octobre), de notre nouvelle rubrique consacrée aux actualités de la recherche clinique, une présentation des résultats de l’étude INVICTUS (étude randomisée, multicentrique, de non-infériorité, comparant anticoagulant oral direct (AOD), le Rivaroxaban, versus anti-vitamine K (AVK), chez les patients porteurs d’une fibrillation atriale rhumatismale).
Enseignements de l’étude INVICTUS et indications du traitement anticoagulant
chez les patients présentant une valvulopathie en 2022
L’étude INVICTUS récemment publiée a rapporté des résultats inattendus concernant la possible utilisation des anticoagulants directs (AOD) en présence d’une fibrillation atriale (FA) associée à une valvulopathie rhumatismale, essentiellement un rétrécissement mitral (RM) (1). Le RM présente les particularités d’être la seule valvulopathie encore majoritairement causée par le rhumatisme articulaire aigu et d’exposer à un risque thrombo-embolique plus élevé que les autres valvulopathies. Un traitement anticoagulant est ainsi indiqué en cas de FA associée à un RM quelle qu’en soit la sévérité et indépendamment du score CHA2DS2VASc. Les recommandations, même récentes, ont toujours privilégié les antivitamines K (AVK) en cas de FA associée à un RM (2,3). Jusqu’alors, ces recommandations reflétaient l’absence de données car les patients avec un RM avaient été exclus des essais cliniques comparant AOD et AVK dans la FA et seule une étude observationnelle avait suggéré la possibilité de prévenir le risque thrombo-embolique du RM en FA par les AOD (4). Le recours aux AOD présente un intérêt particulier pour le RM, qui est surtout rencontré dans les pays en voie de développement où la surveillance des AVK peut être difficile à organiser.
L’essai INVICTUS a randomisé 4565 patients avec une FA associée à une valvulopathie rhumatismale (RM dans 85% des cas) entre rivaroxaban 20 mg/jour et AVK (1). L’incidence du critère primaire (décès de cause cardiovasculaire ou inconnue, événement embolique ou infarctus du myocarde) était plus élevée le groupe traité par AOD que dans celui traité par AVK (8,2 vs. 6,5 pour 100 années-patient, p<0,001) (Tableau). La mortalité de toute cause était significativement plus élevée sous AOD, les accidents vasculaires cérébraux et embolies périphériques étaient plus fréquents sous AOD mais la différence n’atteignait pas la significativité et il n’y avait pas de différence significative concernant les hémorragies majeures (Tableau). Ces résultats étaient inattendus car les sous-études des essais randomisés dans la FA ont montré une non-infériorité des AOD par rapport aux AVK dans les autres valvulopathies natives (5). Les hypothèses avancées pour expliquer cette discordance sont notamment un taux d’accidents vasculaires cérébraux plus faible que prévu (ce qui a conduit à modifier le critère primaire en cours d’étude) et la meilleure adhésion au traitement par AVK que par AOD. Une thrombogénicité particulière au RM ne peut être toutefois exclue. La surmortalité observée sous AOD n’était pas due à un surcroit d’accidents emboliques mais à des décompensations cardiaques et des morts subites plus fréquentes. Il est possible que les contacts médicaux plus fréquents dans le groupe AVK en raison de la surveillance de l’INR aient conduit non seulement à une meilleure adhésion au traitement anticoagulant, mais aussi à une meilleure prise en charge en cas d’aggravation. En pratique, ces données conduisent à ne pas modifier les recommandations actuelles et à poursuivre la prescription d’AVK et non d’AOD en cas de FA associée à un RM rhumatismal.
Ceci contraste avec l’évolution des recommandations concernant les autres valvulopathies. Lors la commercialisation des AOD, leur prescription chez les patients atteints d’une valvulopathie s’est initialement heurtée à la terminologie des autorisations de mise sur le marché qui mentionnent leur prescription en cas de FA non valvulaire. Le terme de FA non valvulaire n’est toutefois pas clairement défini et a été diversement interprété (6). Depuis, des sous-études des essais cliniques randomisés ont permis de comparer les AOD aux AVK chez des patients inclus dans ces essais sur la FA et qui présentaient des valvulopathies natives. La non-infériorité des AOD par rapport aux AVK a ainsi été démontrée en cas de FA associée à un rétrécissement aortique, une insuffisance aortique ou une insuffisance mitrale (5). La non-infériorité des AOD a été démontrée plus récemment dans l’étude randomisée RIVER incluant des patients présentant une FA après un remplacement valvulaire mitral par bioprothèse (7). Les recommandations européennes et américaines valident ainsi l’utilisation d’AOD en cas de FA associée à une valvulopathie native autre qu’un RM ou à la présence d’une bioprothèse après le 3è mois post-opératoire (2,3). Les recommandations européennes privilégient même explicitement la prescription des AOD par rapport aux AVK (2).
La situation est différente en présence d’une prothèse mécanique car un traitement anticoagulant est recommandé à vie compte-tenu de la nature du substitut valvulaire indépendamment du rythme (2,3). La contre-indication des AOD après un remplacement valvulaire par prothèse mécanique est issue de l’étude RE-ALIGN qui avait comparé le dabigatran et les AVK et qui avait mis en évidence un surcroit d’événements thrombo-emboliques et hémorragiques sous AOD (8). Bien qu’il s’agissait d’une étude de phase II non conçue pour comparer des événements cliniques, ces résultats ont conduit à une contre-indication des AOD en présence d’une prothèse mécanique (2,3). Deux essais randomisés vont comparer un AOD anti-Xa (apixaban) et les AVK chez des patients porteurs d’une prothèse aortique mécanique à faible risque thrombo-embolique. Il s’agit de l’essai PROACT Xa en cours de recrutement aux USA et de l’essai français DIAMOND qui débutera prochainement. Dans l’attente des résultats de ces essais, la contre-indication des AOD en présence d’une prothèse mécanique doit être respectée.
En conclusion, l’utilisation des AOD est possible et même recommandée chez les patients présentant une FA associée à un rétrécissement aortique, une insuffisance aortique, une insuffisance mitrale ou une bioprothèse. L’indication des AVK et la contre-indication des AOD demeurent justifiées en cas de prothèse mécanique ou de FA associée à un RM rhumatismal.
Tableau : Principaux résultats de l’essai INVICTUS (1)
Références :
1. Connolly SJ, Karthikeyan G, Ntsekhe M, et al. Rivaroxaban in Rheumatic Heart Disease-Associated Atrial Fibrillation. N Engl J Med 2022;387:978-88.
2. Vahanian A, Beyersdorf F, Praz F, et al. 2021 ESC/EACTS Guidelines for the management of valvular heart disease. Eur Heart J 2022;43:561-632.
3. Otto CM, Nishimura RA, Bonow RO, et al. 2020 ACC/AHA Guideline for the Management of Patients With Valvular Heart Disease: A Report of the American College of Cardiology/American Heart Association Joint Committee on Clinical Practice Guidelines. Circulation 2021;143:e72-e227.
4. Kim JY, Kim SH, Myong JP, et al. Outcomes of Direct Oral Anticoagulants in Patients With Mitral Stenosis. J Am Coll Cardiol 2019;73:1123-31.
5. Renda G, Ricci F, Giugliano RP, De Caterina R. Non-vitamin K antagonist oral anticoagulants in patients with atrial fibrillation and valvular heart disease. J Am Coll Cardiol 2017;69:1363-71.
6. Fauchier L, Philippart R, Clementy N, et al. How to define valvular atrial fibrillation? Arch Cardiovasc Dis 2015;108:530-9.
7. Guimaraes HP, Lopes RD, de Barros ESPGM, et al. Rivaroxaban in patients with atrial
fibrillation and a bioprosthetic mitral valve. N Engl J Med 2020;383:2117-26.
8. Eikelboom JW, Connolly SJ, Brueckmann M, et al. Dabigatran versus warfarin in patients with mechanical heart valves. N Engl J Med 2013;36:1206-14.